Portrait

L’égalité femmes-hommes dans l’insertion, toujours un sujet d’actualité en 2022 ?

 

A l’occasion de la journée internationale des femmes, le 8 mars, nous sommes allés à la rencontre de deux femmes dirigeantes d’entreprises d’insertion, en Occitanie : Nadia Landry qui dirige Pierre en Paysage et Marie-Hélène Cocq, présidente de Sentinelles de Rivières, deux entreprises d’insertion spécialisées dans l’aménagement et l’entretien des espaces naturels et des espaces verts, secteur dont 94% des dirigeants sont des hommes*.

A la question « où en est-on de l’égalité femmes-hommes en 2022 dans le secteur de l’insertion et plus généralement dans le monde qui nous entoure, de l’insertion des femmes en difficulté, de la parité dans les instances décisionnelles ? », elles nous livrent leurs témoignages et analyses.

« Pour l’insertion des femmes, c’est plus la vision de la société qui bloque que les activités elles-mêmes. »

Nadia Landry, dirigeante de Pierre en Paysage

« L’entreprise « Pierre en Paysage » existe depuis 2008. Elle a pour activité la construction en pierre sèche et l’entretien du paysage. Nous intervenons sur des sites gérés par le département avec les clauses d’insertion et également chez les particuliers. Nous sommes situés à Banyuls-sur-Mer et nous avons sept salariés en parcours d’insertion et six salariés permanents.

Je suis arrivée il y a plus de 20 ans au sein d’une association avec un chantier d’insertion. Au bout d’une dizaine d’années, l’activité pierre sèche ayant besoin d’être structurée pour répondre aux commandes des particuliers, on a monté une entreprise d’insertion. Au départ, je m’occupais de la coordination des chantiers et puis j’ai été adjointe de direction, co-gérante et j’ai repris la direction de l’association et de l’entreprise d’insertion au départ à la retraite du second gérant.

Dans mon parcours, ce n’est pas tellement le fait d’être une femme qui a posé question, mais surtout le fait d’être une mère. Maintenant c’est plus facile car mes enfants sont plus grands (15 et 18 ans) mais j’ai dû faire face avant ça a beaucoup de jugements et à la peur d’être une mauvaise mère : j’arrive en retard, je suis toujours pressée, etc. C’est une forme de culpabilité. S’engager, c’est réussir à tous les niveaux. Il y a des exigences par rapport aux enfants qui ne sont pas en cohérence avec celles du monde du travail. Et puis il peut y avoir une pression familiale, liée à une certaine vision du couple, sur la présence au foyer et la disponibilité que l’on doit avoir.    

Nous sommes une génération qui s’est battue pour arriver à tout mener de front, tout faire bien, une vie professionnelle réussie et puis aussi une vie de famille exemplaire. C’est ingérable. Aujourd’hui, les femmes ont compris qu’elles devaient faire bouger les lignes et qu’au lieu de s’adapter à un système construit par les hommes, elles devaient transformer le système pour qu’il s’adapte à tous. Je pense que le modèle entrepreneurial par exemple doit être transformé. Ça ne veut pas dire « féminisé », non. Ça veut dire qu’il doit inclure tout le monde, tout type de personnes, en intégrant les problématiques de chacun et en dirigeant autrement. Un type de management inclusif, plus attentif à l’autre. A l’issue de deux ans de crise sanitaire, je pense que les entreprises qui ne sont pas prêtes à comprendre avec qui elles travaillent, vont dans le mur. Et je vais même plus loin : peut-être que c’est un bienfait pour la société qu’elles aillent dans le mur. Car je suis en colère contre cette société qui écrase et broie les gens au nom de l’argent et du bénéfice.

Pour l’insertion des femmes, je crois que c’est plus la vision de la société qui bloque que les activités elles-mêmes. Par exemple, sur la construction en pierre sèche ou en travaux paysagers, la mixité est enrichissante. Et pourtant, j’ai du mal à avoir des candidatures de femmes. Elles s’auto-censurent et les prescripteurs censurent aussi. J’entends encore des discours comme « on va créer un chantier couture, ça va s’ouvrir aux femmes ». On est en plein dans les stéréotypes. Après ce qui peut être vraiment un frein, ce sont les horaires. Quand on doit démarrer le travail à 6h00 du matin, se pose la question de qui va garder les enfants. C’est une mission très majoritairement assumée par les femmes, même si cela tend à changer. Les couples et les modèles familiaux évoluent mais d’un autre côté les horaires des systèmes de garde n’ont absolument pas évolué. Par exemple, ici on est dans une région ultra touristique avec beaucoup d’emplois saisonniers et toutes les crèches et les centres aérés ferment deux semaines au mois d’août. Comment font les mères qui sont seules à élever leurs enfants ? Elles sont déjà souvent en situation de précarité et en plus il faut qu’elles se débrouillent pour faire garder leurs enfants.

Malgré tout, je trouve que les droits des femmes avancent. Je suis arrivée au Bureau fédéral de la fédération des entreprises d’insertion avec mes envies de défendre un modèle plus inclusif. L’envie de participer, de faire quelque chose à mon niveau pour diffuser le modèle d’entreprise d’insertion. Et finalement, je retire beaucoup plus de ce mandat que ce que j’imaginais. Une prise de recul, une vraie réflexion. Alors, oui, la parité dans les instances de la fédération, ça me semble quelque chose de vraiment important à travailler. Je trouve que la parité en politique a beaucoup fait avancer les choses. On ne peut que s’enrichir de nos différences, on a tous à y gagner. »

« L’égalité ne devrait plus être un sujet. Et pourtant… »

Marie-Hélène COCQ, dirigeante de Sentinelles de Rivières

« A 65 ans aujourd’hui, je ne pensais pas qu’on me poserait encore des questions sur l’égalité femmes-hommes en 2022. C’est comme l’environnement. Dans les années 70, tout le monde était déjà sensibilisé aux problèmes environnementaux, on les connaissait et ça n’a pas empêché qu’on aille à fond dans la société de consommation.

Sur la question de l’égalité, pour moi, oui la famille, le milieu sont importants. Ainsi que les professeurs qui doivent s’engager à ne pas perpétuer les stéréotypes de genre dans le choix des études. En 1974, fort encouragée par mon prof de maths, j’ai choisi une terminale E, ça n’existe plus : c’était « Sciences et Techniques ». Nous étions trois filles pour 2 classes… L’année suivante, j’ai démarré une carrière de monitrice de ski et on m’a dit « tu veux faire un boulot de mec, alors tu dois skier comme un mec ! ». A l’époque, les chaussures de ski étaient moulées pour que les jambes restent parallèles (silhouette «moniteur») ce qui nous massacrait les genoux. Je me suis retrouvée à skier avec des plâtres.  Il a fallu que je me reconvertisse et donc j’ai repris mes études, un DUT en informatique de gestion. C’était en 1998/2000, et là, de nouveau nous étions trois femmes sur toute une promo de 3 classes. Ce DUT m’a permis d’entrer chez IBM où les femmes n’étaient pas très nombreuses… Après 10 CDD (oui c’était possible chez IBM !), en 2007, j’ai été embauchée dans une start-up dans le numérique, en tant qu’assistante technique et ai pu me former aux RH pour finir au bout de douze ans, directrice des ressources humaines. En résumé : j’ai toujours été dans des filières ou des métiers où il y avait une majorité d’hommes et ça ne m’a jamais gênée, ni empêchée de faire quoi que ce soit mais il est vrai que ma famille me soutenait : homme, femme, ce n’était pas un sujet.

Comment est née l’entreprise Sentinelles de Rivières ? Je faisais du kayak depuis 2009 sur Montpellier et quand on pagaie sur un fleuve urbain, on voit des déchets à portée  de pagaie et donc  on les ramasse… : au sein des clubs de kayak avec nos adhérents mais aussi le grand public, à pied sur les berges ou en kayak mais ça restait ponctuel. Et puis petit à petit, j’ai rêvé qu’on pourrait professionnaliser et pérenniser ces actions. Fin 2019, mise en disponibilité, j’ai eu le temps de monter les dossiers pour candidater aux Budgets participatifs de l’Hérault et de la Région Occitanie pour des subventions en investissements. Avec le Comité régional Occitanie de canoë-Kayak, nous avons créé la structure associative porteuse avec l’objectif de la transformer en SCIC. Nous avons obtenu le conventionnement en tant qu’entreprise d’insertion par la Direccte (désormais DREETS) et des aides au démarrage (Etat, PPI). Montpellier Méditerranée Métropole a retenu notre candidature dans le cadre d’un appel d’offre de marché public clausé (Valorisation patrimoniale des milieux aquatiques), ce qui nous garantit une partie de nos recettes. Nous complétons ces entrées par des prestations en espaces verts pour un spécialiste de travaux en génie écologique et nous proposons des écobalades aux entreprises souhaitant donner un sens à leurs sorties «cohésion d’équipe» dans le cadre de la RSE.

 Je suis persuadée que ce modèle économique peut être décliné sur tous les territoires avec autant de création d’emplois non délocalisables non seulement sur les bassins versants des rivières mais également pour dépolluer les terrains recouverts de dépôts sauvages ainsi que tous les sites où des décharges ont été enfouies avant l’installation de déchetteries : c’est à dire dans toutes les municipalités. Il y a vraiment matière à créer des entreprises d’insertion spécifiquement pour dépolluer tous les territoires. Avec en substance une réelle gratification ressentie par nos équipiers qui se sentent valorisés par non seulement les tâches accomplies mais aussi les remerciements et félicitations des promeneurs qui nous croisent sur le terrain.

L’entreprise est conventionnée pour deux équivalents temps plein d’insertion pour le moment. Avec un encadrant technique, à la base moniteur de canoë-kayak. Nous accueillons aussi des tigistes* (personnes condamnées à des travaux d’intérêt général). Nos salariés suivent un programme de formation aux espaces verts avec le CFPPA (Centre de formation professionnelle et de promotion agricole), une journée sur la sécurité d’utilisation des outils et puis les fondamentaux de l’entretien des espaces verts (élagage, bouturage…).

Notre premier CDDI a été signé avec une salariée, Clara, 25 ans, au préalable en chantier au Jardin du Cœur et donc déjà formée au jardinage mais également intéressée par la préservation animale et la biodiversité. Elle n’avait jamais fait de kayak mais elle était partante, elle savait nager et a vite assimilé les bases de la navigation, ce qui lui a permis d’effectuer avec nous des descentes de surveillance des cours d’eau (Lez et Mosson) et de ramasser les déchets depuis un canoë en toute sécurité.

Pour elle, comme pour le restant de l’équipe, il n’a jamais été perçu qu’être une femme pouvait être un frein à nos activités d’entretien des rivières et des berges et par extension de tout espace vert. Nous avons investi dans du matériel de pointe, léger, ergonomique. Sans doute parce que, avec mon expérience personnelle, je suis sensibilisée à cette problématique et je ne tiens pas à ce que nos salariés se ruinent la santé au travail. Après avoir repris confiance en ses capacités au sein de notre entreprises, Clara a pu voir aboutir son projet professionnel : elle va intégrer une formation de soigneur animalier pour la faune sauvage.

S’il a fallu adapter des horaires, c’est pour notre encadrant technique, car c’est lui qui va chercher les enfants à l’école et qui a dû aussi les garder parfois pendant les grèves. Sa femme est infirmière.

L’égalité ne devrait plus être un sujet. Et pourtant, je me rends compte, par exemple, quand on intervient dans les quartiers difficiles de Montpellier, qu’il y a un vrai souci. Sentinelles de Rivières mène des actions de sensibilisation auprès du grand public notamment des collectes de déchets à pied ou en bateau et on avait organisé une animation en lien avec une association du quartier. Quand on est intervenu, les filles se tenaient d’un côté et les garçons de l’autre, vraiment séparés. Aucune mixité. J’ai demandé pourquoi. A priori, l’animateur leur avait dit « les filles, vous allez au fond ». Alors c’est sûr qu’il faut continuer à se mobiliser.

Lors de nos actions ouvertes au grand public, on constate qu’il y a toujours plus de femmes que d’hommes (cf. www.mhmtp.piwigo.com). Elles semblent plus sensibilisées, se rendent disponibles et viennent avec leurs enfants. Peut-être parce que nettoyer chez soi leur revient le plus souvent. Alors elles viennent nettoyer la nature qu’elles considèrent plus comme un grand chez-soi.

La parité dans les instances de la fédération ? La question m’embarrasse car elle ne devrait plus avoir à être posée. Si être dans les instances, c’est juste pour un titre honorifique et ne pouvoir rien apporter de constructif, ça ne m’intéresse pas. Aujourd’hui, je ne pourrai vraiment pas m’investir dans les instances de la fédération, l’entreprise est trop jeune et je poursuis d’autres engagements en parallèle. Mais quand j’aurai plus de bouteille, que le modèle sera consolidé et que je pourrai déléguer, pourquoi pas ? »  


* Chiffres clés 2019 des entreprises du paysage – Union nationale des entreprises du paysage

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